
Encore aujourd’hui, je reçois sur un autre réseau social bien connu, une demande d’ami sans aucun contexte, d’un homme (présent sur un groupe de praticien·nes en Hypnose, lui aussi bien connu, d’où proviennent une vaste majorité de ces demandes “cheloues”).
C’est un peu toujours les mêmes, celui-ci se présente sur son profil comme proposant – attention attention drum rolls – un “accompagnement immersif sur mesure pour femmes atypiques et audacieuses en transition de vie”. Lui il précise même “deuil ou rupture”.
Le “décodeur à bullshit pseudo-thérapeutique”, couplé au “décodeur à bullshit de mecs chelous” est sans appel lorsqu’il traduit:
“Je suis un homme qui cible des femmes vulnérables, dans un moment de fragilité accrue, pour se positionner en guide/sachant/mentor sous couvert de bienveillance.”
En plus je trouve qu’on manque cruellement de mecs qui expliquent aux femmes ce qu’elles vivent, ce qu’elles sont, et comment elles devraient s’y prendre pour aller mieux. (/s)
Blague à part, on en parle de ce phénomène ? Ces hommes qui, n’ayant pas pu activer d’autres leviers de domination (statut, pouvoir, séduction frontale…), viennent se recycler tranquillou dans les milieux psy, bien-être, coaching, avec un vernis de langage thérapeutique-ascendant-féministe-inclusif, pour se faire passer pour “safe” ?
Une voie royale pour venir chasser dans un vivier de personnes souvent en détresse, en quête parfois presque désespérée d’un mieux-être, et donc particulièrement sensibles à ce type de discours.
C’est une prédation feutrée, enveloppante, aux gestes lents et à la voix douce, qui comme d’hab ne dit pas son nom.
Les rapports de genre structurent depuis longtemps les milieux de la psychologie et du bien-être. Historiquement, la figure du thérapeute est masculine, face à des patientes féminines, dont la parole est interprétée sous un prisme patriarcal… et PAF, ça fait des hystériques.
Aujourd’hui, les choses font mine d’avoir évolué. En 2022, la France comptait 84 007 psychologues, dont près de 86% sont des femmes (ADELI / DREES). Côté coaching, même tendance : 72% des coachs professionnel·les sont des femmes selon la SFCoach. Les infirmier·ères, y compris en psychiatrie, sont à 86,6 % des femmes.
Les psychomotricien·nes (90 % ) et ergothérapeutes (≈86 % ) présentent des proportions similaires. Plus largement, le secteur du bien-être (massages, soins corporels, relaxation) est décrit comme « extrêmement féminin ».
Une infographie de 2014 montrait qu’il comptait pas moins de 98 % de femmes parmi ses employé·es. Et si on zoome sur les reconversions, post-covid oblige, c’est une vague entière de femmes qui ont quitté des métiers précaires ou épuisants pour se former dans le “care”, le soin, le bien-être, la relation d’aide. En 2021, Pôle emploi observait une augmentation marquée des inscriptions aux formations en santé mentale, développement personnel et bien-être, en grande majorité féminines.
Ce n’est pas qu’une anecdote, c’est une dynamique. Les travailleuses du bien-être et de la santé mentale en France (psychologie, paramédical, développement personnel, etc.) sont donc très majoritairement… des femmes.
Malgré cela, parmi les figures visibles, les praticiens “stars”, formateurs vedettes, et autres gourous du coaching sont bien souvent… des hommes. Ils parlent bien, présentent bien, et peuvent jouir d’une autorité disproportionnée sur un public essentiellement féminin.
Pour illustrer concrètement ces dynamiques, on peut comparer quelques figures connues du bien-être et de la santé psychologique en France, et observer leur traitement médiatique. Des personnalités comme Boris Cyrulnik, Christophe André ou Fabrice Midal sont devenues de véritables références médiatiques.
Boris Cyrulnik (neuropsychiatre) est ainsi régulièrement sollicité par les pouvoirs publics (il a présidé une commission gouvernementale sur la petite enfance) et par les médias pour commenter divers enjeux psychologiques. Sa parole bénéficie d’un fort crédit et d’une large diffusion.
De même, Christophe André (psychiatre) est invité sur les plateaux pour parler de méditation, de bonheur, etc., et il a vendu des centaines de milliers de livres. Ces hommes sont présentés comme des experts sages et bienveillants, leurs propos sont relayés avec sérieux, avec des tribunes régulières, un statut d’auteur à succès et un capital de confiance élevé auprès du public.
Des expertes et auteures existent évidemment, mais leur reconnaissance médiatique est plus confidentielle. Par exemple, la psychologue Jeanne Siaud-Facchin, spécialiste des enfants à haut potentiel, jouit d’une solide réputation professionnelle et a publié des ouvrages grand public. Cependant, elle est moins fréquemment invitée dans les médias généralistes que ne le sont ses confrères masculins sur d’autres sujets de psychologie.
De même, la pédopsychiatre Muriel Salmona, très engagée sur la question des violences sexuelles et du trauma, est connue dans le milieu militant et scientifique ; toutefois sa visibilité télé/radio demeure limitée à des contextes spécialisés ou associatifs, bien loin de la notoriété d’un Cyrulnik.
On peut citer également Isabelle Filliozat, pionnière de l’éducation bienveillante : ses livres se vendent bien, mais elle intervient surtout dans des cercles dédiés (conférences parentales, médias parentaux) et n’a pas la même aura grand public qu’un Christophe André par exemple.
Quand des femmes accèdent à une certaine visibilité, elles sont souvent cantonnées à un registre précis (souvent lié aux femmes ou à la famille), ou font l’objet d’un certain scepticisme ou d’une sexualisation. Leur expertise est parfois reléguée au second plan au profit de leur récit personnel ou d’une image plus émotionnelle, là où les hommes “gourous” du développement personnel sont décrits comme des mentors charismatiques, des entrepreneurs à succès ou des intellectuels humanistes (et leurs éventuelles “frasques” ou controverses sont relativisées par leur statut d’autorité).
Ce double standard se remarque dans la presse people ou les portraits médiatiques : un homme sera “expert”, une femme sera “blogueuse”, “influenceuse” ou “ancienne miss reconvertie”.
Ainsi, la crédibilité accordée d’emblée diffère: on a d’un côté des femmes soignantes, de l’autre, des hommes prophètes.
En parallèle, ce sont aussi majoritairement des femmes qui consultent. En 2022, elles ont pris plus de 78 % des rendez-vous chez les psychologues via Doctolib . Ce chiffre grimpe à 76 % chez les 18-24 ans .
Cette surreprésentation féminine dans les consultations reflète une réalité sociale : les femmes assument souvent la charge émotionnelle de leur entourage. Elles consultent non seulement pour elles-mêmes, mais aussi en raison du refus de leurs compagnons, pères ou frères de chercher de l’aide. Elles assument le rôle de psy de leur mec, de leur père, de leur frère…
La répartition des responsabilités familiales demeure très inégalitaire : 54 % des Françaises déclarent prendre majoritairement en charge les tâches ménagères du foyer, contre seulement 7 % des hommes . D’après un baromètre de 2023, les personnes en souffrance psychique citent le plus souvent une charge mentale trop lourde comme cause de leur mal-être (64 % des sondés). Ce surplus de stress chronique peut entraîner épuisement, irritabilité, anxiété et symptômes dépressifs. En outre, la difficulté à concilier vie professionnelle et vie familiale reste source de tension : les normes sociales valorisent à la fois la réussite au travail et l’investissement maternel, imposant aux femmes une pression de performance dans tous les domaines de vie. Cette double contrainte engendre un sentiment de culpabilité ou d’insatisfaction (par exemple le “syndrome de la mauvaise mère” chez certaines actives).
Les violences faites aux femmes constituent un facteur extrême mais malheureusement fréquent de mal-être psychologique. En France, les dernières enquêtes révèlent des chiffres alarmants. Au sein du couple, on estime qu’en 2022 environ 373 000 femmes de 18 ans et plus ont subi des violences physiques, sexuelles et/ou psychologiques de la part de leur conjoint ou ex-conjoint. En dehors du cercle conjugal, les violences sexistes et sexuelles sont tout aussi répandues : en 2022, 230 000 femmes ont été victimes de viol, tentative de viol ou agression sexuelle, or ce chiffre est une estimation minimale, car seule une minorité de victimes porte plainte (enquête 2023 : seulement 6 % des femmes victimes d’agression sexuelle ont déposé plainte). L’ampleur réelle du phénomène reste donc largement sous-estimée. Les conséquences psychiques de ces violences sont dévastatrices.
La période autour de la maternité (grossesse et surtout post-partum) est un moment délicat pour la santé psychique de nombreuses mères qui font face à un choc hormonal, à la fatigue et à de nouvelles responsabilités intenses qui peuvent engendrer des troubles dépressifs ou anxieux. On parle de dépression post-partum (DPP) lorsque des symptômes dépressifs significatifs apparaissent dans les semaines ou mois suivant l’accouchement. Selon l’Enquête Nationale Périnatale 2021, la prévalence de la dépression du post-partum à 2 mois après l’accouchement est estimée à 16,7 % en France. Autrement dit, environ une mère sur six souffre d’une dépression post-natale dans les premières semaines de bébé. Ce trouble se manifeste par une profonde tristesse, un épuisement, un sentiment d’incompétence maternelle, voire des idées noires.
Les inégalités de genre dans le monde du travail et la précarité économique constituent un autre volet explicatif du mal-être des femmes. En 2023, dans le secteur privé, le revenu salarial moyen des femmes est inférieur de 22,2 % à celui des hommes . À poste et temps de travail équivalents, l’écart se réduit mais demeure réel (environ 4 % de salaire net en moins pour les femmes).
Selon une enquête menée par l’IFOP pour la plateforme Let’s Tolk en novembre 2024, 57 % des hommes interrogés déclarent avoir vécu un trouble psychique au cours de leur vie. Cependant, seulement 62 % de ces 57% ont consulté un professionnel de santé mentale. Les normes sociales associées à la virilité dissuadent les hommes d’exprimer leur vulnérabilité. Vincent Lapierre, directeur du Centre de prévention du suicide à Paris, souligne que “la virilité, ce mélange de fierté et de compétition, va à l’encontre de l’expression de sa vulnérabilité, de ses angoisses”.
On pourrait presque dire que les femmes consultent à cause des hommes de leur vie qui refusent de le faire.
Ainsi, les femmes portent la double casquette de soignantes et de patientes, souvent sans reconnaissance ni soutien adéquat. À la maison, les femmes font le travail psychique pour deux, tandis qu’à l’extérieur, certains hommes s’autorisent à “aider” les femmes… mais uniquement quand ça les place en position d’autorité, de guide, d’homme qui sait.
On retrouve ici ce que j’appelle le paradoxe de la cuisine : dans l’espace domestique, la tradition patriarcale aime a rappeler que “la place dela femme est à la la cuisine”, néanmoins, dès qu’il s’agit de prestige, de reconnaissance, de projecteurs, ce sont les hommes qu’on retrouve derrière les fourneaux étoilés.
Et c’est pareil dans le champ du soin. Même dans les espaces où ils nous avaient confinées, jugés secondaires, les hommes réapparaissent dès qu’un peu de lumière ou de pouvoir est en jeu, ils investissent, recentrent, redéfinissent, jusqu’à s’imposer comme figures incontournables de ces lieux qu’ils avaient eux-mêmes méprisés.
Cette configuration (un homme en position de sachant face à des femmes en recherche d’aide) reproduit un schéma de pouvoir familier. Des études montrent que lorsque des abus surviennent en psychothérapie, ils impliquent très majoritairement un thérapeute homme et une patiente femme. Par exemple, une enquête australienne sur 40 femmes ayant subi des abus sexuels en thérapie a révélé que 90% des agresseurs étaient des praticiens de sexe masculin, souvent des thérapeutes seniors très qualifiés et charismatiques. Ce constat suggère un problème systémique : le statut conféré aux hommes dans la relation d’aide peut faciliter des abus de pouvoir, en écho aux inégalités de genre de la société en général. Comme le souligne l’auteure de cette étude, la culture professionnelle reflète les problèmes fondamentaux des rapports de genre de la société globale, et un changement culturel nécessiterait une meilleure éducation aux questions de pouvoir et de politique sexuelle pour y remédier.
L’histoire même des pratiques psychothérapeutiques a longtemps été traversée par une culture de la suspicion envers les victimes de violences sexuelles, et la psychanalyse freudienne en constitue l’un des exemples les plus structurants. À l’origine, Freud émet l’hypothèse d’un lien entre symptômes hystériques et violences sexuelles subies (théorie de la séduction), avant de se rétracter, considérant finalement que ces récits d’abus seraient des fantasmes inconscients relevant du complexe d’Œdipe. Ce retournement – à la fois théorique, stratégique et politique – marque un moment de bascule fondamental dans l’histoire de la clinique occidentale : la réalité des violences sexuelles devient symbolisée, réinterprétée, mise à distance. Dès lors, la parole des femmes et des enfants est systématiquement questionnée, analysée, filtrée à travers une grille de lecture qui peut occulter, voire invalider leur expérience traumatique.
Des autrices comme Florence Rush ou Jeffrey Masson ont documenté l’impact dévastateur de ce virage sur la manière dont les récits de violences sexuelles ont été accueillis au XXe siècle dans les milieux psy. Dans The Freudian Cover-Up (1980), Rush décrit comment la psychanalyse a participé à une culture du silence sur l’inceste, en transformant des agressions en fantasmes infantiles. Jeffrey Masson, dans The Assault on Truth (1984), accuse Freud d’avoir cédé à la pression sociale et professionnelle en abandonnant la reconnaissance des traumas sexuels réels. Ces critiques mettent en lumière une structure patriarcale dans la pensée psychanalytique, où le discours du maître prime sur le vécu du sujet.
Encore aujourd’hui, de nombreux témoignages de patientes rapportent des expériences cliniques où leurs récits de violences ont été minimisés, sexualisés ou interprétés de manière symbolique plutôt que reconnus comme des événements traumatiques concrets. Des recherches en psychotraumatologie (van der Kolk, 2015 ; Salmona, 2020) montrent que le non-reconnaissance du trauma constitue en soi un facteur aggravant, prolongeant les effets de dissociation, de honte et de désorganisation psychique.
Ce désalignement entre certains cadres théoriques dominants et la réalité des violences sexuelles vécues crée un terreau fertile pour les abus. Lorsqu’une discipline érige en dogme l’idée que la mémoire est trompeuse, que la parole est suspecte, ou que l’agression n’est jamais tout à fait ce qu’elle semble être, elle ouvre la voie à des postures d’autorité excessives, où le praticien détient seul les clés de lecture du psychisme de l’autre. Ce déséquilibre peut glisser insidieusement vers l’emprise, la dépossession de soi, ou même l’exploitation sexuelle, en particulier dans les contextes où la vulnérabilité est forte et la frontière entre accompagnement et domination mal balisée.
Ce cadre théorique, historiquement aveugle à la dimension structurelle des violences de genre, reste encore largement influent dans les milieux de la psychanalyse, mais aussi dans certaines pratiques de coaching ou de “développement personnel” qui en reprennent, parfois inconsciemment, les schémas implicites : valorisation du charisme du praticien, méfiance vis-à-vis de la parole brute du sujet, interprétation des affects féminins comme “excessifs” ou “irrationnels”. C’est précisément dans ces zones grises entre savoir et pouvoir, entre guidance et emprise, que peuvent s’insinuer les formes contemporaines de prédation “à la voix douce” décrites dans cet article. Autrement dit, l’héritage épistémologique de la psychanalyse classique continue de résonner dans les nouvelles figures du “thérapeute éveillé”, du “coach à l’écoute”, du “mentor en conscience”… avec des effets parfois tout aussi délétères.
Sur la scène internationale, l’essor du marché du bien-être et du développement personnel (estimé à plus de 11 milliards de dollars dans le monde ces dernières années ) s’est largement appuyé sur une cible féminine, incitant certains hommes à se positionner comme « guides » dans ce secteur florissant.
Plusieurs scandales retentissants ont d’ailleurs mis en lumière l’emprise que pouvaient exercer des hommes gourous sur leurs adeptes féminines.
Le mouvement NXIVM aux États-Unis en est un exemple extrême : sous couvert de coaching entrepreneurial et d’épanouissement personnel, son dirigeant Keith Raniere avait établi un véritable système d’esclavage sexuel de ses disciples, majoritairement des femmes, avant d’être condamné en 2020.
De même, le milieu du yoga occidental a dû affronter son #MeToo : depuis les années 1990, une série de scandales impliquant des hommes puissants de la communauté yoga (Swami Satchidananda, Bikram Choudhury, Pattabhi Jois, etc.) ont révélé des décennies d’abus sexuels sur des élèves, tolérés sous couvert de dévotion.
En France, l’actualité récente a également illustré ce phénomène avec l’affaire du gourou de yoga tantrique Grégorian Bivolaru : ce « maître » d’envergure internationale a été arrêté à Paris en 2023, soupçonné d’avoir endoctriné des adeptes pour exploitation sexuelle, une affaire impliquant des accusations de viol, de traite d’êtres humains et d’abus de faiblesse en bande organisée.
En juin 2009, un psychiatre niçois a été mis en examen pour viols et agressions sexuelles sur plusieurs patientes, qu’il aurait abusées sous hypnose lors de consultations. Il leur aurait fait croire que certains actes faisaient partie du processus thérapeutique, usant de son autorité médicale pour installer une emprise.
Elysée Adé, se présentant comme maître de kung-fu et thérapeute sans diplôme reconnu, a été condamné en 2022 pour abus de faiblesse et agressions sexuelles. Il imposait à ses adeptes des pratiques sexuelles coercitives, notamment des séances de masturbation et des rapports imposés, sous couvert de développement personnel et spirituel. Il a été condamné à 30 mois de prison, dont 10 mois fermes, et interdit d’exercer toute activité thérapeutique ou commerciale liée à l’accompagnement personnel.
En mars 2021, Cyril Z., qui se présentait comme hypnothérapeute, a été mis en examen pour viols et agressions sexuelles sur au moins 17 femmes, qu’il aurait droguées au Zolpidem avant de les abuser, parfois en les filmant à leur insu.
En avril 2024, un psychiatre de 72 ans, exerçant à Paris a été accusé par plusieurs patientes d’agressions sexuelles lors de séances d’hypnose.
Entre 2016 et 2019, un psychiatre francilien est accusé de viols sur une patiente vulnérable, sous couvert de “câlinothérapie”, une pratique non reconnue médicalement. Profitant d’un transfert affectif, il aurait instauré une relation d’emprise progressive, jusqu’à des rapports sexuels imposés dans le cadre du suivi.
Enfin, Gérard Miller, psychanalyste et figure médiatique en France, a été accusé en 2023 de viol et d’agressions sexuelles par plusieurs femmes. Les faits allégués remontent à plusieurs années et concernent des patientes ou des collaboratrices. L’affaire est en cours d’instruction, et M. Miller conteste les accusations portées contre lui.
Cette liste d’affaires, hélas non exhaustive, ne rapporte que des faits qui ont été médiatisés. Parce que le plus souvent, ça ne sort pas. D’une part parce que les conséquences sont encore trop lourdes pour les victimes qui osent parler, (oui, même aujourd’hui, en 2025 post #metoo); d’autre part parce que lorsque la parole s’exprime, les choses sont gérées, le plus souvent, en interne.
Dans les formations, les stages, les retraites, ces lieux supposés être dédiés à l’écoute, à la croissance, à la bienveillance. Là où la réputation du centre, la cohésion de l’équipe pédagogique, le prestige du formateur “ancien”, pèse dans la balance, et amène à rechercher un “compromis”, trop souvent au détriment des victimes et à l’avantage de celui qui a profité de la situation.
Je vous parle de ce que j’ai vu de mes yeux, dans l’un des centres de formation en Hypnose les plus reconnus au niveau international, ou un formateur ayant été écarté après des signalements de comportements déplacés est pourtant revenu, en toute décontraction, dans les locaux, de façon informelle, boire son café et plaisanter avec des membres -femmes!- de l’équipe formatrice. Et nous autres, élèves, dont certain·es étaient au courant des faits, avons pu nous demander exactement quel message nous étions supposé·es recevoir face à ça. Même signalé, il reste légitime, il reste bienvenu.
Autre exemple, dans ce même centre : un élève plus âgé, déjà connu pour mettre mal à l’aise plusieurs participantes, imposait des contacts physiques non sollicités à répétition. “Câlins” non demandés, rapprochements inappropriés, déplacements de la frontière du consentement — dans l’espace public, devant tout le monde. Et personne, du côté de l’équipe pédagogique, ne posait de limite.
Ce sont ces non-dits, ces silences organisés, ces petits arrangements internes qui permettent aux dynamiques de prédation de s’installer dans des lieux où l’on prétend pourtant “travailler l’humain”. La question n’est pas celle de quelques “cas isolés”. Elle est systémique. Et elle interroge ce que le champ de la relation d’aide est prêt à taire pour maintenir sa vitrine.
Les prédateurs « bien‑être » ne débarquent pas en terrain neutre : une partie significative de leur public potentiel a déjà connu des violences sexuelles ou physiques. Or une première agression ouvre la voie à ce qu’on appelle la revictimisation, c’est à dire le fait d’être agressé·e de nouveau plus tard.
Une méta‑analyse portant sur 80 études et plus de 12 000 survivant·es d’abus sexuels dans l’enfance montre qu’en moyenne 47,9 % d’entre eux/elles subissent au moins une autre agression sexuelle ultérieure – soit quasiment une personne sur deux !
D’autres travaux de référence (Arata, 2002) estiment que les victimes d’abus sexuels infantiles présentent 2 à 3 fois plus de probabilités d’être agressées à l’âge adulte qu’une population sans antécédent.
Certains ressorts psycho-traumatologiques favorisant la revictimisation sont bien connus dans les milieux psycho-éduqués: Un historique d’abus augmente la soif de validation (« Je veux enfin qu’on me voie/me comprenne »), un lien dissociatif ou une faible reconnaissance du risque ralentit la mise en place de limites, enfin, la honte réduit la probabilité de dénonciation.
Un filon en or pour les prédateurs en tous genres, mais aussi un “marché captif”, où l’on vend des formations, des accompagnements, des retraites, et autres programmes hautement lucratifs, avec en bonus un accès privilégié à l’intimité, tant physique que psychique, d’individus vulnérables.
Le trauma devient un marché, et la prédation est non seulement sexuelle mais aussi matérielle.
Il convient de souligner que ce mécanisme de prédation émotionnelle n’est pas qu’une vue de l’esprit, mais un phénomène documenté par les instances officielles.
En France, les dérives sectaires à visée « psy » ou bien-être ont pris une ampleur considérable : 40% des signalements pour dérives sectaires reçus par la MIVILUDES en 2020 concernaient le domaine de la santé et du bien-être , ce qui en fait le secteur le plus représenté. Plus récemment, la part de ces signalements liés aux pseudo-thérapies tourne toujours autour d’un tiers des cas annuels .
Derrière ces chiffres, on retrouve des centaines de situations de dépendance psychologique, souvent au préjudice de personnes vulnérables. La loi française a d’ailleurs intégré cette réalité en réprimant le « manquement à la vulnérabilité » : le délit d’abus de faiblesse (Article 223-15-2 du Code pénal) vise précisément l’exploitation frauduleuse de l’état de faiblesse d’une personne sous emprise.
C’est sous cette qualification que sont poursuivis de nombreux gourous et faux thérapeutes, y compris dans l’affaire du yoga tantrique mentionnée plus haut. Cette reconnaissance juridique souligne que la prédation par emprise mentale est désormais identifiée comme une forme de violence à part entière, même si elle ne laisse pas de traces physiques immédiates.
Un aspect troublant du phénomène évoqué est la manière dont des logiques traditionnelles de domination masculine se transposent dans un registre en apparence bienveillant et progressiste. Autrement dit, le pouvoir patriarcal sait se « recycler » : privés de leurs leviers classiques (statut hiérarchique, financier, force physique, etc.), certains hommes investissent le rôle du sauveur empathique pour exercer une influence sur les femmes.
On peut analyser cette posture en la rapprochant du concept de sexisme bienveillant théorisé en psychologie sociale. Le sexisme bienveillant désigne “une attitude sexiste implicite, teintée de chevalerie, qui a l’apparence de l’anodin et semble même positive”. Dans le contexte qui nous intéresse, le thérapeute/coach masculin “safe” prétend valoriser la femme (il vante son courage, la fait sentir vue, perçue, dans ses pécificités, lui promet une révélation de son potentiel, etc.), mais il la place simultanément en situation de dépendance vis-à-vis de lui, seul détenteur du savoir pour la « guider vers le mieux-être », quand il ne la pathologise pas franchement.
Les outils de prédation déployés dans ces milieux pseudo-thérapeutiques peuvent être très élaborés. La relation d’aide est totalement instrumentalisée: l’usage du “vernis thérapeutique” donne au prédateur une crédibilité initiale : “diplômes” et certifications parfois ésotériques, jargon psychologique, références à des approches exotiques (énergie, chamanisme, etc.) le font passer pour un professionnel légitime et inoffensif.
On observe également chez ces praticiens un usage calculé des termes féministes ou thérapeutiques à la mode.
Des militant·e·s ont mis en garde contre ce profil du “féministe performatif” : “Méfiez-vous des hommes qui utilisent le langage de la justice sociale pour vous manipuler”.
L’agresseur potentiel peut se dire déconstruit et respectueux, ce sont autant de codes de bienveillance qu’il instrumentalise pour gagner la confiance. Cette récupération du langage progressiste est particulièrement perverse, car elle brouille les repères de la victime qui y voit initialement un gage de sûreté (“il comprend les femmes, il est différent des autres hommes dominants”).
On retrouve là ce “terrifiant hybride de masculinité toxique et de féminisme” dénoncé par certaines auteures , où l’oppresseur avance masqué en allié des femmes.
Les métiers de l’accompagnement confèrent, qu’on le veuille ou non, un déséquilibre de pouvoir dans la relation. Et c’est précisément dans ces interstices de pouvoir non clairement nommés ou définis que s’installent certaines des dérives les plus insidieuses.
Les femmes ne se font pas piéger parce qu’elles sont naïves ou faibles. Elles se font piéger parce que ça ne ressemble pas à un piège. Parce que ça arrive dans cette fameuse zone grise, là où les intentions sont floues, les signaux ambigus, la posture flattée. Parce qu’on doute – surtout quand on a déjà été brisée. On se dit : et si c’était moi qui exagérais ? Et si je gâchais une relation précieuse ?
Ce doute-là, les prédateurs le connaissent. Et ils s’y faufilent.
C’est pour ça qu’il faut continuer à ouvrir ces conversations, même inconfortables. Dans les milieux du soin, du bien-être, de la santé mentale, on ne peut pas se contenter de bonnes intentions. Il faut penser et repenser les cadres, les dynamiques, les asymétries.
Il faut nommer les zones grises, interroger les bénéfices secondaires des postures d’écoute ou de savoir, débusquer ce qui, parfois, se rejoue malgré nous.
Cette réflexion existe déjà dans certains cercles féministes, décoloniaux, queer, antivalidistes. Mais elle doit devenir centrale. Créer des espaces réellement safe, c’est un processus actif, jamais acquis.
Ça demande d’apprendre à se regarder en face, entre praticien·nes, sans complaisance. Ça demande de politiser nos pratiques. Et de se rappeler que là où il y a un pouvoir il y a aussi une responsabilité. Immense.
© Lola Sliwinski – Apr 2025