“Ça Aurait Pu Être Pire” : La Minimisation des Traumatismes

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Lorsqu’une personne évoque son expérience traumatisante, il est assez courant que son vécu soit en quelque sorte minimisé, parfois par l’entourage, mais aussi et souvent, par la personne survivante elle-même.
« Ça aurait pu être pire», « Y’en a qui ont vécu pire», etc.
Que ce soit dans le cadre d’une thérapie, en conversation avec des proches ou dans une réflexion personnelle, ces expressions reviennent fréquemment.
Des victimes d’abus sexuels, de violence, de négligence ou d’accidents graves le disent souvent, comme si cela invalidait en partie leur propre souffrance. Cependant, cette manière de minimiser ou de comparer son expérience à d’autres peut devenir un véritable frein à la guérison.

La Minoration de la Douleur : Un Mécanisme de Défense

Le fait de penser « Ça aurait pu être pire » relève souvent d’un mécanisme de défense psychologique.
En se comparant à ceux qui ont vécu des traumatismes plus “graves”, une personne essaie, souvent inconsciemment, de minimiser son vécu et sa propre douleur.
Cela peut créer une distance émotionnelle vis-à-vis du trauma, permettant à l’individu de ne pas se confronter pleinement à la profondeur de sa souffrance.

Cette stratégie de minimisation peut sembler aider à court terme, mais elle est en réalité dommageable. Elle empêche l’individu de prendre en compte l’impact réel de ce qu’il a vécu.
Bessel van der Kolk, expert mondialement reconnu sur les traumatismes, explique que lorsque la douleur n’est pas reconnue, elle reste “figée” dans le corps et l’esprit. En conséquence, cette douleur refoulée peut conduire à une expression des symptômes (comme des troubles anxieux, la dépression, et des troubles du stress post-traumatique (PTSD)) plus marquée.

Comparer son Traumatisme : Une Tentative de contrôle

L’idée que “ça aurait pu être pire” est souvent associée à un besoin de relativiser, d’éviter de se percevoir comme victime ou d’éviter le sentiment d’impuissance qui accompagne souvent les traumatismes. En reconnaissant que d’autres ont vécu des situations plus extrêmes, l’individu tente de reprendre un certain contrôle sur son expérience.

Pourtant, cela conduit souvent à une négation de sa propre souffrance. Judith Herman, psychologue et pionnière dans l’étude du trauma, a montré dans ses travaux que ce type de comparaison crée une forme d’invalidation interne. En d’autres termes, la personne commence à croire que sa souffrance ne mérite pas d’attention parce qu’elle n’est pas “aussi grave”. Mais ce processus empêche une prise en charge adéquate, car l’attention se concentre sur une hiérarchisation du trauma plutôt que sur les besoins réels de l’individu.

Aucun Trauma n’est Trop Petit : Valider sa Propre Douleur

Le problème fondamental de la phrase « Ça aurait pu être pire » est qu’elle installe une fausse hiérarchie des traumatismes. La réalité est que toute douleur est légitime, peu importe sa cause ou son intensité. Ce n’est pas l’événement en soi qui définit la gravité d’un traumatisme, mais l’impact qu’il a sur la personne qui l’a vécu.

Par exemple, des recherches menées par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) montrent que plus de 70 % des individus seront confrontés à des événements traumatisants au moins une fois dans leur vie. Pourtant, chaque individu réagit différemment en fonction de son histoire personnelle, de ses capacités de résilience et de son environnement. Il n’existe donc pas de baromètre universel pour évaluer la légitimité d’une souffrance.

Pour comprendre cela, il faut se rappeler que le trauma n’est pas uniquement lié à l’événement vécu, mais surtout à la manière dont cet événement est ressenti, intégré et traité. Une même situation peut être vécue de manière profondément traumatisante par une personne, et avoir un impact moindre sur une autre. Cela n’enlève rien à la validité de l’expérience de chacun.

L’Impact du Refus de Reconnaître sa Propre Souffrance

Refuser de reconnaître son propre traumatisme sous prétexte que “ça aurait pu être pire” peut avoir des conséquences profondes. Ne pas prendre en compte la souffrance empêche la personne de recevoir le soutien psychologique dont elle a besoin, et empêche également un travail thérapeutique complet. Cela peut même exacerber les symptômes à long terme.

Les études montrent que les personnes qui minimisent leurs traumatismes sont plus susceptibles de souffrir de symptômes de dépression, de troubles anxieux, et de stress post-traumatique, souvent bien plus longtemps que celles qui acceptent de reconnaître l’impact de leurs expériences. Par ailleurs, le trauma non résolu peut se manifester de manière physique à travers des douleurs chroniques, de la fatigue, des troubles du sommeil ou des problèmes digestifs.

Le psychiatre Gabor Maté, spécialiste des liens entre le stress, les traumatismes et la maladie, insiste sur l’importance de reconnaître et d’honorer sa propre douleur pour éviter que celle-ci ne se transforme en une souffrance chronique. Selon lui, le corps garde une mémoire des expériences émotionnelles non traitées, et si la personne ne s’autorise pas à reconnaître ce qui s’est passé, cette douleur finit par s’exprimer d’une autre manière, souvent sous forme de symptômes physiques ou psychologiques.

Cesser la Comparaison et Rechercher le Soutien Nécessaire

Il est essentiel de sortir de cette logique de comparaison pour permettre une véritable guérison. En abandonnant l’idée que « ça aurait pu être pire », la personne s’ouvre à la possibilité de reconnaître pleinement l’impact de son expérience, et surtout, de recevoir l’aide dont elle a besoin.

Chaque traumatisme est valide, peu importe sa nature ou son intensité. Le soutien thérapeutique, émotionnel et social est crucial pour chaque personne ayant traversé une épreuve douloureuse. Que l’événement soit perçu comme “moins grave” aux yeux des autres ou non, cela ne change rien à la légitimité des émotions ressenties ni au besoin d’accompagnement.

En tant que professionnels, il est de notre devoir de rappeler que toute souffrance mérite d’être prise en charge. Il n’y a pas de “petits” ou de “grands” traumatismes, seulement des expériences humaines qui laissent une marque, et ces marques méritent d’être reconnues, respectées et soignées.

Références

1. Van der Kolk, Bessel. Le Corps n’Oublie Rien: Le Cerveau, l’Esprit et le Corps dans la Guérison du Traumatisme. Albin Michel, 2018.

2. Herman, Judith. Trauma and Recovery: The Aftermath of Violence – From Domestic Abuse to Political Terror. Basic Books, 2015.

3. Gabor Maté. When the Body Says No: The Cost of Hidden Stress. Wiley, 2004.

4. Organisation Mondiale de la Santé. Trauma Exposure and Post-Traumatic Stress Disorder in the World Health Organization World Mental Health Surveys. 2021.

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